Transcription de l’audio de l’émission de Radio-Canada, “boréale 138”, un entretien avec le chercheur François de Grandpré de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Tourisme Côte-Nord souhaite évaluer le potentiel du tourisme scientifique de notre territoire et a mandaté une équipe de l’Université du Québec à Trois-Rivières. François de Grandpré, chercheur et professeur en loisirs culture et tourisme est chargé de cette mission et nous parle de cette étude.
Qu’est-ce que le tourisme scientifique ? Que peut-on inclure finalement dans cette niche ?
Avec des chercheurs de France, du Chili et du Brésil, nous essayons de trouver une définition consensuelle. En gros il s’agit d’utiliser à des fins touristiques le travail mené par des chercheurs sur le territoire qui est visité.
Comment cet intérêt est-il né et comment est-il marqué sur la Côte-Nord ?
Il y a 5 ou 6 ans, j’étais à une conférence dont une communication portait sur le tourisme scientifique en Patagonie. Celle-ci montrait pourquoi le tourisme scientifique est particulièrement intéressant pour la mise en tourisme d’un territoire extrême, du bout du monde. En comparant les caractéristiques du territoire, il semblait y avoir des similitudes très importantes avec le nord Québec ; au niveau du paysage, surtout de la Basse-Côte-Nord, les enjeux et les difficultés qu’il y a faire la mise en tourisme de destinations excentrées, lointaines. Cela me semblait très proche de ce que l’on expérimentait ici.
Ensuite un concours de circonstances a rendu possible un projet de coopération entre le Québec et le Chili (du Ministère des Relations internationales et de la Francophonie). Au bout de quatre années, nous sommes à l’aboutissement de cet échange et il y a des articles scientifiques en production. Il s’avère intéressant de faire une application pratique de ce tourisme dans un territoire de l’extrême et nous avons proposé l’idée à Tourisme Côte-Nord. Il y aura ainsi prochainement dans le guide une petite section sur le tourisme scientifique; c’est un début.
On cherche à recenser les possibilités du tourisme scientifique. Or il y a beaucoup de chercheurs dans notre région, depuis longtemps, depuis des siècles.
Mais quelle est la pratique qui existe actuellement ? Je pense à la pratique d’observation des animaux, que l’on soit dans l’eau ou dans la forêt ?
Oui, il y a toujours eu du tourisme scientifique sur la Côte-Nord, mais on ne le nommait pas comme cela, de façon claire. L’observation des mammifères marins c’est tout à fait ça, ils sont associés à des centres de recherche. Il y a une dizaine de sites qui seraient prêts dès maintenant à s’afficher comme faisant du tourisme scientifique.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets, car le spectre est large, c’est de la géologie, de l’archéologie, de l’histoire, de l’astronomie ?
Oui c’est cela. Sur la Côte-Nord par exemple, il y a plus de 1 400 sites archéologiques. L’élément rassembleur ce n’est pas tant la discipline, mais la construction de la connaissance par des chercheurs sur le territoire à visiter. On ne parlera pas de recherche qui est faite en dehors de la Côte-Nord.
Plusieurs le font déjà que ce soit Parcs Canada, Anticosti, avec son dossier de reconnaissance au patrimoine mondial de l’UNESCO, plusieurs chercheurs ont argumenté l’importance de la géologie et de la foresterie entre autres.
Il y a la réserve de la biosphère Manicouagan-Uapishka, le Parc Nature de Pointe-aux-Outardes. Hydro-Québec aussi, qui fait du tourisme industriel ; il faudra voir comment cela peut s’arrimer à un tourisme scientifique. On parle de monitoring par exemple.
Une dame de Rivière-Pentecôte me parlait de chercheurs qui viennent tout juste de finir une étude sur des lacs glaciaires. Et un autre qui parlait d’une passe à saumons où ils font un recensement. Cette collecte de données est transférée à des chercheurs qui font un suivi, et cela date des années 80. C’est intéressant, car on peut faire participer le visiteur à ce genre de collecte de données.
La recherche devient le produit d’appel ? Ce n’est plus la nature ou culture le produit d’appel, mais c’est le fait qu’il y a de la recherche à cet endroit-là?
On utilisera plutôt le terme d’une ressource à mettre en tourisme.
Cela peut prendre la forme d’une visite guidée chez Hydro-Québec. Une sortie aux baleines avec des scientifiques ; là où le touriste participe activement à la recherche. Il y a autant de paires d’yeux sur le bateau qu’il y a de touristes sur le bateau qui sont capables d’aider le guide à localiser, identifier les mammifères marins.
Il y a une grande gradation, cela peut être très léger comme participation à la recherche ; simplement être exposés à des résultats de recherche ou participer à la collecte de données. Mais on peut aussi imaginer des recherches archéologiques où l’on fait de l’écovolontariat scientifique, avec plusieurs journées sur un site à participer avec une équipe en place.
Quelles sont les questions que l’on doit se poser lorsque l’on veut faire partie de ce nouveau tourisme scientifique sur la Côte-Nord ?
Il s’agit d’abord d’avoir un intérêt à se développer dans ce sens-là, mais également que l’on soit en contact avec des chercheurs qui amènent des choses intéressantes que l’on pourrait utiliser dans des centres d’interprétation ou insérer dans les discours des guides animateurs et si possible, faire participer le visiteur.
Il y en a qui sont déjà compatibles avec tourisme scientifique. Ensuite il a des gens qui ont un intérêt pour la science comme le cas des lacs glaciaires, où des chercheurs de l’Université de Strasbourg viennent juste de terminer leur étude. Ils vont produire prochainement un article. Mais ils ne sont pas prêts encore à se lancer, à créer une organisation, avoir des guides spécialisés. Il y a une première phase avec ceux qui sont prêts et une deuxième viendra avec ceux qui démontrent de l’intérêt et qui pourraient contribuer à ce positionnement-là.
Le tourisme scientifique ne va pas révolutionner le tourisme sur la Côte-Nord, mais c’est une nouvelle corde à son arc à mettre en valeur.
20 octobre 2021 Radio-Canada